Trick or treat !
À l'approche d'Halloween, il est impossible de ne pas ressentir cette fascination partagée pour le macabre et le mystère. Depuis la nuit des temps, les artistes ont tenté de capturer nos plus grandes peurs, ces angoisses qui nous hantent et s'insinuent dans nos esprits. Pour certaines œuvres, les artistes ont même puisé dans les légendes, les cauchemars ou les mythes antiques, donnant naissance à des œuvres qui, au-delà de leur beauté technique, sont terrifiantes par la puissance de leur représentation.
Ces chefs-d’œuvre transcendent leur époque, explorant les recoin les plus sombres de l'imagination humaine. Chacune de ces œuvres est une plongée dans un monde différent où des créatures étranges, des personnages démoniaques et des scènes surnaturelles capturent cette frontière entre le réel et l'irréel. Pourquoi sommes-nous si captivés par ce qui nous fait peur ? Peut-être parce qu'elles nous rappellent que la peur est une émotion universelle, un pont entre toutes les époques et tous les âges. En la représentant, ces artistes nous permettent d'explorer nos propres craintes, tout en en les maintenant à une distance "sécurisée" dans le cadre de leurs toiles (n.b, le portrait effrayant d'une femme au visage déformé à la "Modigliani" surgissante de sa toile dans le film Ça (2017) qui a dû en effrayer plus d'un).
À travers six œuvres emblématiques, explorons ensemble ce qui les rend si effrayantes et si fascinantes : de l’œuvre tourmenté Lucifer de Franz Von Stück, à l'angoisse insondable du Cauchemar de Füssli, en passant par la violence sans limite du Saturne dévorant un de ses fils de Goya. Préparez-vous pour un voyage au cœur de l'horreur , où chaque coup de pinceau nous invite à contempler nos peurs les plus primitives.

Horace Vernet, La Ballade de Léonor, 1839, huile sur toile, 61 x 55 cm, Nantes, Musée d’Arts de Nantes. © Wikipédia
Horace Vernet, La Ballade de Lénore, 1839.
Avec La Ballade de Lénore, Horace Vernet nous entraîne dans une légende mystérieuse où le surnaturel se mêle au réel. La scène représente Lénore, une jeune fille désespérée de ne pas retrouver son fiancé partit à la guerre, elle finit par blasphémer (on peut d'ailleurs apercevoir un édifice religieux dans le fond), c'est alors qu'elle est emporté vers le royaume des morts par un cavalier noir à l'allure fantomatique chevauchant son cheval. Ce tableau inspiré de la Ballade gothique de Bürger, Lenore, fascine par sa noirceur romantique. Figure emblématique du romantisme, Vernet compose ici une œuvre à l'atmosphère dramatique où Lénore condamnée à chevaucher éternellement au coté de ce cavalier incarne la peur d'une passion immortelle et damnée. Ce contraste entre l'amour et la terreur de la mort fait de cette œuvre un cri silencieux qui pénètre jusqu’au tréfonds et dont la noirceur et renforcée par la présence d'un gisant royal au pieds du cheval indiquant que la scène se déroule dans un cimetière.

Johann Heinrich Füssli, Le Cauchemar, 1781, huile sur toile, 101,6 x 127,7 x 2,1 cm, Détroit, Detroit Institute of Art. © Wikimedia Commons
Johann Heinrich Füssli, Le Cauchemar, 1781.
D'une étrangeté inégalée, Le Cauchemar de Johann Heinrich Füssli capture avec intensité la puissance du subconscient. Au centre de la toile, une jeune femme assoupie, écrasée par une créature sinistre aux yeux vides, semblable à un démon ou à un incube, tandis qu'un cheval spectral, au regard écarquillé, observe la scène. Ce tableau incarne le passage à l'autre monde, cet espace d'entre-deux où l'esprit rêveur est vulnérable aux entités malveillantes. Ce chef-d’œuvre dérangeant illustre les cauchemars dans leur essence, capturant le malaise intime des rêves où le réel semble céder à l'inconnu et aux cauchemars. D'autres versions de l’œuvre ont été peintes par Füssli montrant ainsi une certains fascination pour l'étrange...

Francisco de Goya, Saturne dévorant un de ses fils, circa 1819-1923, peinture murale transférée sur toile, 146 x 83 cm, Madrid, Musée du Prado. © Wikimedia Commons
Francisco de Goya, Saturne dévorant un de ses fils, circa 1819-1923.
Probablement l'une des œuvres les plus dérangeantes de l'Histoire de l'art, Saturne dévorant un de ses fils est un tableau où Goya pousse l'horreur à son paroxysme. Saturne le visage fou et les yeux hagards, tient entre ses mains le corps ensanglantés d'un de ses enfants qu'il dévore avec une violence inouïe. L’œuvre fait référence à la mythologie grecque, où le titan Cronos (représenté ici par Saturne) dévore chacun de ses fils à leur naissance pour empêcher la réalisation d'une prophétie qui prédit qu'il sera détrôné par l'un d'eux.
Ce tableau, au -delà de la cruauté, interroge sur le désespoir, la folie et l'impuissance face au passage du temps. Cette œuvre peinte directement sur le mur de la maison de Goya, illustre la peur de la vieillesse et de la mort, un besoin dévorant de contrôlé l’incontrôlable. Par cette représentation du récit mythologique, Goya montre la face la plus crue et la plus cruelle de l'humanité, résumée dans le regard désespérer et la sauvagerie de Saturne.

Pierre Paul Rubens, Tête de Méduse, circa 1617-1618, huile sur panneau de bois et toile, 68,5 x 118 cm, Vienne, Musée d’Histoire de l’art. © Wikimedia Commons
Pierre Paul Rubens, Tête de Méduse, circa 1617-1618.
Figure emblématique de récits antiques, Méduse est représentée par Rubens décapitée, sous le glaive du héros de la mythologie grecque Persée, des serpents sinueux surgissant de sa chevelure. Ce visage de femme, figé dans un rictus d'agonie et ces yeux exorbités (qui semblent nous pétrifier), est à la fois hypnotisant et épouvantable, alors que les reptiles ondulent autour de sa tête sanglante, ajoutant une touche de vivacité morbide. Rubens rend ici hommage au mythe en se concentrant sur la beauté qui fascine autant qu'elle détruit. Cette Tête de Méduse devient ainsi une icône de l'ambiguïté, où l'horreur et l'esthétique se mêlent jusqu’à la fascination.

Franz Von Stück, Lucifer, vers 1890, huile sur toile, 161 cm x 152,5 cm, Sofia, National Gallery for Foreign Art. © Wikimedia Commons
Franz Von Stück, Lucifer, vers 1890.
Franz Von Stück immortalise Lucifer dans une représentation qui mêle puissance et danger. L'artiste représente ici Lucifer dans un décor sombre comme un homme au corps sculptural et ailé, au regard fou et phosphorescent, les yeux remplis de noirceur et de profondeur. La seule source lumineuse renforce ce sentiment de terreur qui émane de l’œuvre. La position de la figure semble vouloir nous bondir dessus accentuant sa nature maléfique. Le choix de Von Stück de représenter Lucifer avec cette aura troublante reflète le conflit interne et la lutte morale, faisant de ce tableau une fenêtre vers l'âme d'un être complexe, rejeté du paradis mais toujours empreint d'une beauté mystérieuse. Bien que cette œuvre soit terrifiante, elle n'a pas réussi à effrayer le roi de Bulgarie, Ferdinand Ier, qui en fit l'acquisition en 1891.

Francisco de Goya, Le Sabbat des sorcières, 1798-1799, huile sur toile d’après une fresque, 43 x 30 cm, Madrid, Musée Lazaro Galdiano. © Wikimedia Commons
Francisco de Goya, Le Sabbat des sorcières, 1798-1799.
Le Sabbat des sorcières est œuvre fascinante et troublante qui fait partie d'un cycle de huit toiles créées pour la résidence de la duchesse d'Osuna. Francisco de Goya y présente un univers peuplé de créatures grotesques et déformées. Au cœur de cette scène macabre trône un imposant bouc, symbole du diable, qui dirige une assemblée de sorcières, figées dans des postures d'hallucination. Ces dernière assises en cercle, en pleine célébration d'un rituel satanique (le sabbat), réputé pour impliquer le sacrifice d'un enfant (on peut apercevoir un nourrisson offert et des cadavres de jeunes enfants squelettiques). Les expressions des visages caricaturées et difformes et la présence d'une femme dissimulant les parties génitales du bouc (une connotation sexuelle ?) renforcent le malaise et l'étrangeté de la scène. Ce tableau illustre la folie collective et la frénésie superstitieuse de l'époque, incarnant les peurs liées à la sorcellerie et au surnaturel. Goya, avec cette œuvre, invite le spectateur à contempler la peur irrationnelle et les ténèbres qui hantent la société.
Ces œuvres d'art sont autant de fenêtres vers l'effroi, immortalisant nos terreurs les plus profondes et nos fascinations les plus sombres. Elles incarnent le génie de leurs créateurs à sonder les abîmes de l'âme humaine et à donner vie à ces émotions brutes qui défient le temps et continuent de nous hanter.