Le carnet de Villard de Honnecourt
Ère de progrès, le XIIIe siècle fût également le siècle de l’art gothique, de
la floraison des cathédrales, et d’une société en pleine mutation. De ce
fait, vont se développer cités et monuments historiques qui par la même
occasion vont apporter des progrès techniques en matière d’architecture.
Cette société et cette période de progrès furent illustrées à travers les travaux
du maitre d’œuvre et dessinateur, Villard de Honnecourt.
Homme du XIIIe siècle, son
histoire est mystérieuse et peu
connue, naissant autour de
l’an 1200 au sein du village
de Honnecourt-sur-Escaut en
Picardie, il mourut autour de l’an
1250. Apprenant son futur métier
d’architecte grâce à ses voyages il
devient par la suite maitre d’œuvre
ou magister latomus . Voyageant
beaucoup grâce à son travail,
ses nombreuses excursions sont
illustrées à travers son Carnet.
Daté entre les années 1230 et 1240 et se composant à l’origine d’une
centaine de pages, ce carnet écrit en langue picarde et de petite dimension
(14 sur 22 cm) se compose de feuilles de parchemin reliées et recouvertes
de cuir de couleur marron. S’il existait une centaine de feuille à l’origine,
certaines ont disparues, ont été modifiées ou ont été usées par le passage
du temps. De ce fait, le manuscrit ne se compose aujourd’hui que de 66
feuilles de parchemins. Présentant des croquis de construction, des dessins
d’animaux, des croquis de personnages ou encore des croquis de chantiers
médiévaux, le carnet illustré avec précision et minutie permet d’en apprendre
plus sur les outils et technique de construction du XIIIe siècle. Ainsi, l’on peut
retrouver des plans de construction représentant la cathédrale de Reims,
la cathédrale de Laon, les églises de la ville de Cambrai, de Meaux ou
encore les églises de la ville de Vaucelles. Ces illustrations s’accompagnent
pour certains dessins de notes écrites en langue picarde. De nos jours, le
Carnet de Villard de Honnecourt est conservé à la Bibliothèque Nationale
de France (BNF).
Témoignant de son expérience et de ses pensées, ce manuscrit est très
utile pour les maçons et les menuisiers, sculpteurs et architectes. Des
dessins circulaires et des inscriptions leur permettent d’estimer le volume
de connaissances théoriques et pratiques de ces grands maîtres qui ont
construits des cathédrales gothiques. Villard de Honnecourt a apporté
à l’album tout ce qui a attiré son attention sur le chemin. Le manuscrit
met en lumière les différents trésors découvert par Villard de Honnecourt
en France et à l’étranger, les nefs des églises, la lumière des vitraux, les
chantiers de construction et les foires colorées, la lueur des armures et les
entrées des chevaux dans les tournois chevaleresques. L’intérêt éveillé dans
la diversité de la nature est incarné dans des croquis, sans ordre spécial
dispersé dans les pages. Comme le souligne l’auteur lui-même, certains
dessins sont faits à partir de la nature, d’autres - de mémoire, mais tous
sont distingués. Les études attentives donnent des indications sur la vie de
Villard de Honnecourt, révèlent la gamme de monuments qu’il a étudié ou
construit lui-même, et permettent de tracer son itinéraire à travers l’Europe.
Son métier d’architecte est confirmé par ses instructions sur le traitement de
la pierre, sur la création de structures et de plans de bâtiments et la sélection
du matériau lui-même que l’on trouve dans son carnet. De surcroît, certains
chercheurs et historiens pensent que l’architecte a construit une église à
Cambrai près de sa ville natale.
Véritable témoignage de son époque, le Carnet de Villard de Honnecourt
illustre avec une très grande précision tous les multiples aspects de son
époque.

Étant maitre d’œuvre, Villard de Honnecourt,
connait avec précision les nombreuses techniques
de constructions de son temps. En effet, les dessins
présents dans le carnet dévoilent tout le savoir de
Villard de Honnecourt.
Écrit en langue picarde, le Carnet de Villard de
Honnecourt vulgarise certaines techniques, pour
le moins compliquées, dans les méthodes de
construction d’un édifice. Les écrits de l’époque
étaient pour la plupart rédigés en langue latine, une
langue représentant le savoir et la connaissance.
De ce fait, Villard de Honnecourt vulgarise le savoir
et le rend presque accessible à tous. Villard de
Honnecourt facilite donc certaines techniques de
construction comme par exemple la technique de «
l’art du trait » aussi appelée « la stéréotomie ». Cette
dernière est destinée aux ouvrages de charpentes,
elle permet de tailler avec précision des pierres
et indique comment disposer ces dernières afin
d’éviter tout écroulement de l’édifice. De surcroît,
certains croquis du carnet sont commentés tandis
que d’autres ne le sont pas.
Outre les connaissances techniques facilitant la construction d’un monument, Villard de Honnecourt semble être un fin connaisseur de géométrie. Au XIIIe siècle, la connaissance de la géométrie s’étend en Europe grâce à l’ouvrage écrit par Euclide en 300 avant J.C s’intitulant Les Éléments. Ainsi, dans le carnet, de nombreuses formes géométriques sont visibles comme le triangle, le rond ou encore même les étoiles. Ces formes permettent de calculer et de représenter avec exactitude des personnages, des animaux, des édifices et des explications de techniques et d’outils de constructions. Cette parfaite maitrise de la géométrie permet à Villard de Honnecourt d’illustrer de façon précise tous les aspects de la construction dans ses moindres détails. Les angles droits, les formes géométriques et les outils et techniques y sont représentés avec simplicité et précision ce qui permet une très bonne compréhension des techniques de construction mises en place par les maitres d’œuvres au XIIIe siècle. Villard de Honnecourt était polyvalent et instruit, ainsi, il avait un large éventail d’intérêts - du problème de la machine à mouvement perpétuel à la formule du baume de guérison. Les dessins montrent non seulement sa profonde connaissance de l’industrie de la construction, mais aussi son appartenance à l’avant-garde des architectes - les créateurs de conceptions précoces. Il était fasciné par les tours ouest de la cathédrale de Laon : de leurs sommets à l’amphithéâtre jonché de taureaux en pierre. «J’étais dans de nombreux pays, comme vous pouvez le voir dans ce livre, mais nulle part j’ai vu une tour comme la tour de Laon ... ». À côté du texte se trouve une vue de la tour Laon sur le côté et son plan. Ce ne sont pas encore des dessins à l’échelle, puisque le rapport des parties est arbitrairement brisé et des croquis sans détails et mesures précises.
L’on retrouve dans ce manuscrit des croquis de machines de construction,
comme par exemple des instruments de levage qui permettaient grâce à un
homme placé à l’intérieur de soulever des pierres ou de gros morceaux de
bois. On peut également retrouver des représentations d’équerre pour les
angles droits des édifices, le cordeaux permettant d’obtenir avec précision
la verticalité d’un édifice, le niveau servant à vérifier les aplombs, les moles
représentant des modèles de tailles de pierre et les compas. Ces derniers
sont représentés comme des compas à secteurs, également appelés compas
à branches,
Tout ceci, permet à Villard de Honnecourt de représenter de façon concrète
ce qu’était l’art gothique du XIIIe siècle.
Présent dans de nombreux édifices civils, militaires ou encore religieux, l’art gothique, se substituant à l’art roman, apparaît progressivement durant la seconde moitié du XIIe siècle. Le XIIIe siècle est le siècle de l’art gothique et des églises gothiques et le Carnet de Villard de Honnecourt illustre à merveille l’art gothique du XIIIe siècle. En effet, les illustrations d’arcs boutants, de contreforts, de voutes sur croisée d’ogives, qui sont des caractéristiques de l’art gothique, sont présentées dans ce dit carnet. Avant son voyage en Hongrie, où il a été appelé vers 1235, Villard de Honnecourt a réalisé des croquis des cathédrales remarquables du Nord-Est de la France. L’architecte est allé à l’est à travers la Suisse, où il a copié la rosace de la cathédrale de Lausanne. En Hongrie, il a probablement restauré des églises détruites par les Mongols. Le long séjour de l’architecte dans le pays a contribué à l’introduction du style gothique là-bas. Ce «missionnaire gothique» est l’un de ces maîtres qui ont diffusé de nouvelles réalisations de l’art de la construction française du XIIIème siècle. De même entre le XIIe et le XIVe siècle, la verrerie se développe en Europe, les vitraux sont très présents au sein de l’architecture gothique religieux. Nonobstant, dans son carnet Villard de Honnecourt ne représente pas de vitraux. Cependant, ce dernier représente des verrières grâce à plusieurs dessins représentant des roses, comme par exemple celle de la cathédrale de Chartres.
De surcroit, les illustrations de personnages et d’animaux dans le Carnet
de Villard de Honnecourt montrent l’importance des statues, des bas-reliefs et donc de la sculpture dans l’art gothique. Le Carnet de Villard de
Honnecourt se datant entre 1230 et 1240 se situe en pleine apogée de l’art
gothique durant le règne de Saint-Louis (1226-1270)

Le XIIIe siècle est un siècle en pleine mutation. Les villes se développent,
se modernisent. Le Carnet de Villard de Honnecourt reflète cette société,
ce siècle. Ayant réalisé de nombreux voyages, les croquis présents dans le
carnet mettent en lumière les voyages de Villard de Honnecourt. Différentes
bâtisses de différentes villes y sont représentées comme la cathédrale de
Chartres ou encore la tour du Laon. De même la représentation d’animaux
dans ce manuscrit montre l’intérêt que suscitait la nature au XIIIe siècle.
Cette représentation de la nature dans le carnet se veut assez proche de la
réalité grâce aux détails des feuilles et des motifs floraux.
L’architecte du XIII siècle est au courant « de tous les arts » de son temps.
De plus, la géométrie connait un essor important au XIIIe siècle, ainsi,
son carnet contient un certain nombre de recettes utiles pour la géométrie
pratique : comment mesurer l’épaisseur de l’étrier de la colonne, « quand
tout ne peut pas être vu » comment définir la largeur de la rivière sans la
traverser, pour déterminer la hauteur d’une tour. Un des dessins est expliqué
grâce à une inscription : «En poussant de cette façon, on peut redresser une
maison qui penche d’un côté. Ce sera moins lourd»
De surcroît, l’usage de la langue picarde montre l’utilisation croissante des langues vulgaires dans les écrits scientifiques ou encore dans la littérature, par exemple, en 1275 apparaît en langue picarde la Pratike de géométrie. Ce texte évoquant la géométrie est plus facile à comprendre pour des personnes ne parlant pas le latin. Le manuscrit renseigne sur la vie au XIIIe siècle à travers quelques dessins comme celui représentant la « roue de fortune ». Cette dernière illustre la dureté de la vie au XIIIe siècle malgré cette période de progrès, elle est représentée sous la forme d’une fleur à six pétales comprenant dans chacune un personnage représentant des hommes tantôt chanceux et tantôt malchanceux, le personnage du milieu représente la déesse Fortune. Des formes géométriques sont visibles comme par exemple les demi-cercles, les triangles ou encore le rond situé au milieu du croquis. Ici, le dessin est simplifié certains dessins sont plus détaillés que celui présent dans le Carnet de Villard de Honnecourt, cela montre l’intention de simplifier afin de faire comprendre, pour une grande partie des personnes, l’architecture et ses outils de chantiers. L’usage des formes géométriques montre encore une fois, la connaissance de la géométrie et la précision que possède Villard de Honnecourt.
«Le Lion. Je veux vous parler de l’enseignement du lion. Celui qui fait travailler
le lion a deux chiots. Quand il veut faire quelque chose au lion, il lui commande.
Si le lion grogne, il bat ses chiots ; ce dont le lion a une grande crainte ; quand
il voit battre les chiots, il refrène son courage et fait ce qu’on lui commande. Et
s’il est courroucé, il ne laisse paraître, car à personne ne ferait ni tort ni droit. Et
sachez que ce lion fut fait (dessiner) au vif (d’après nature)».
Le mode d’entraînement du Lion décrit par Villard était pratiqué sous les
cours féodales. L’architecte a dû visiter la ménagerie des animaux rares, ou,
en plus du lion, esquisser un porc-épic et deux perroquets sur un perchoir.
L’architecte offre à ses collègues une méthode géométrique pour construire
des croquis d’hommes et d’animaux : « Ici, commence la méthode des dessins
de portraiture, comme l’art de géométrie l’enseigne pour travailler aisément. ».

Par exemple, chez un cerf, le tronc est inscrit dans un rectangle, et deux
triangles entrecroisés forment le cou et la tête. Ayant ainsi tracé une
silhouette générale, l’artiste ajoutait des cornes et des jambes, et, sur les
figures géométriques élémentaires, il dessinait un dessin assez proche de
la nature. L’aigle est représenté à l’aide d’une étoile, tandis que les troncs et
les cous de deux autruches suivent l’arc du cercle. Une telle construction a
aidé à relier les différentes parties du corps, donné à une figure particulière
un mouvement, à se souvenir de ses proportions de base.
De même, Villard de Honnecourt évoque le compagnonnage, anciens
ancêtres des compagnons du devoir. Au XIIIe siècle, chaque individu
avait sa place dans la société, certains étaient bouchers, artisans ou encore
menuisiers. Parmi les artisans se trouvaient les ouvriers, ces derniers se
ressemblaient au sein d’associations et pratiquaient ensemble leur savoir
faire. Ainsi, la solidarité est illustrée à travers certains croquis de Villard de
Honnecourt. Des dessin représentant des scènes de la vie quotidienne sont
même présents.
Véritable témoignage du XIIIe siècle, le Carnet de Villard de Honnecourt suscite une interrogation des plus importante : Quel est son rôle ? Est-ce un carnet ou les croquis sont simplement l’illustration des voyages de Villard de Honnecourt ? Villard de Honnecourt a-t-il réalisé ces dessins dans le but de faire des chantiers et de construire des édifices ? Illustrant l’art gothique, le carnet montre le quotidien des chantiers médiévaux à l’époque de Villard mais également des aspects de la société au XIIIe siècle. Ce n’est pas pour rien que l’album est passé de main en main, il a été utilisé jusqu’au XVème siècle. Ce manuscrit est complexe et renferme de nombreux secrets par son véritable but. Le carnet illustre le XIIIe siècle dans tous ses aspects à la fois sociétaux et religieux.
Bibliographie
DUBY Georges, L’Europe au Moyen-Âge : Art roman, Art gothique, Flammarion, 1984.
THEUS Roland, L’initiation d’un maitre d’œuvre selon Villard de Honnecourt, MdV, 2012.
MIGNON Philippe, Architecture des cathédrales gothiques, Ouest France, 2015.
WIRTH Jean, Villard de Honnecourt architecte du XIIIe siècle, Droz, 2015.