Lady Macbeth somnambule de Johann Heinrich Füssli
Lady Macbeth : "Il y a toujours là une odeur de sang. Tous les parfums de l'Arabie ne peuvent purifier cette petite main ! - Oh ! oh ! oh !
William Shakespeare, Macbeth, Acte 5, scène 1
Rattachée à une idée d’harmonie, la beauté est depuis la Renaissance incarnée dans la peinture par les modèles antiques. Nonobstant, la définition de la beauté sera remise en question durant le XVIIIe siècle à travers le romantisme. Ce dernier est avant tout un courant littéraire, se définissant par l’importance de l’expression des sentiments intérieurs. Ce courant va par la suite inspirer les peintres. De ce fait, nombreux sont les artistes qui puisent leurs inspirations dans la littérature, les sources bibliques, la littérature médiévale ou encore les sources mythologiques pour peindre leurs œuvres. Ici, nous évoquerons la place du théâtre dans l’art en nous appuyant sur les œuvres théâtrales d’un dramaturge anglais connu de tous, William Shakespeare.
Ce dernier est né en 1564 et meurt en 1616 et a écrit une trentaine de pièces. À ce jour trente-cinq de ses pièces nous sont parvenues. Shakespeare s’illustre dans de nombreux genres théâtraux comme la comédie avec Le songe d’une nuit d’été ; écrite entre 1594 et 1595 ; ou encore les tragédies avec Hamlet publié pour la première fois en 1603 et Macbeth, pièce écrite entre 1599 et 1606. Cette dernière pièce a inspiré de nombreux artistes et notamment Johann Heinrich Füssli.
Né en 1741 en Suisse et mort en 1825 à Londres, Füssli est un peintre suisse qui acquerra par la suite la nationalité britannique. Très jeune et grâce à son père, Johann Kaspar Füssli, qui est lui-même peintre, il tomba dans l’univers artistique et littéraire. La carrière artistique de Füssli commence donc très tôt et il l’a débute grâce à des dessins s’inspirant des œuvres de la collection de son père.
Appréciant tout particulièrement la caricature, Füssli commence sa carrière avec ses dernières. Par la suite, il fit la rencontre de Bodmer, celui-ci lui fera découvrir les textes de Shakespeare. De surcroît, il fit également la connaissance de Winckelmann dont il retient l’influence classique.
Durant le court de sa vie il se rend deux fois à Londres en 1764 et en 1779, où il y restera jusqu’à sa mort en 1825. De ses séjours à Londres il retient deux inspirations artistiques l’une classique et l’autre romantique. C’est grâce à son tableau s’intitulant Le Cauchemar datant de 1781 que Füssli fait découvrir son goût pour les univers fantastiques et cauchemardesques.

Johann Heinrich Füssli, Le cauchemar, 1782, huile sur toile, 102 x 127 cm, Détroit, Detroit Institute of Art. © Google Image
De 1786 à 1800, Füssli va réaliser une série de neuf toiles s’inspirant des pièces du grand dramaturge pour la « Shakespeare Gallery » de Boydell. Et en 1799, il est nommé professeur de peinture à la Royal Academy, où il y enseigne pendant plus d’une vingtaine d’année et y publie également ses conférences sur la peinture. Les dernières œuvres de sa vie sont surtout des tableaux mythologiques, d'inspiration romantique.
L’art de Füssli se caractérise par un goût très prononcé pour le fantastique, l’irréel et le macabre. Se rapprochant grandement du romantisme noir, ce dernier est un sous genre littéraire du romantisme caractérisé par la représentation sentimentale de la folie, du crime. L’atmosphère est donc macabre, effrayante et angoissante. Caractéristiques que nous retrouvons dans Lady Macbeth somnambule de Füssli. En effet, tous les personnages peints par l’artiste sont représentés dans un monde chaotique, cauchemardesque et violent. De plus, la représentation de la femme tient une place considérable dans les œuvres du peintre, représentée de façon différente dans chacune de ses œuvres, les femmes sont chez Füssli représentées comme des comédiennes. Tel est le cas dans l’œuvre Lady Macbeth somnambule.
Cette huile sur toile a été réalisée en 1781, d’importante dimension, elle fait partie des nombreuses œuvres de l’artiste s’inspirant de la pièce du même nom écrite par Shakespeare en 1606.
La pièce met en scène le capitaine écossais Macbeth qui suite aux prédictions des trois sorcières et poussé par son épouse, assassine le roi et prend ainsi le pouvoir. La soif de pouvoir trop importante de Macbeth et de sa femme les pousse à commettre une série d’actes criminels qui pousseront cette dernière à la folie et à la mort.
Présentée pour la première fois en 1784 à l’occasion de l’exposition de la Royal Academy de Londres. De nos jours, elle est conservée à Paris au musée du Louvre dans le département des peintures anglaises depuis 1970. Ce tableau retrace la scène 1 de l’acte V de la pièce, durant cette scène Lady Macbeth est en pleine crise de somnambulisme et avoue le crime odieux qu’elle a commis afin que son mari puisse devenir roi.

Représentant la première scène du cinquième acte de la pièce de Shakespeare, Lady Macbeth somnambule est un tableau théâtral. Les visages des personnages sont extrêmement expressifs voir même caricaturaux. Nous serions ainsi, à même de penser que Füssli a ici retouché à ses origines, puisqu’il a commencé son travail d’artiste par la caricature. Ce n’est d’ailleurs pas la seule œuvre s’inspirant de la pièce de Shakespeare qui a été caricaturée par l'artiste. En effet, en 1783, Füssli peint Les trois sorcières. Cette huile sur toile représente ici la scène dans laquelle Macbeth apprend son couronnement futur. Dans cette œuvre les sorcières sont effrayantes et caricaturées avec la présence de nez crochue. Par ailleurs, la caricature est tellement flagrante que les sorcières ne semblent plus ressembler à des femmes et deviennent masculines.
Les visages effrayés des personnages semblent également faire penser aux masques grecs servant aux comédiens pour jouer des expressions et sentiments lors des pièces interprétées durant les Grandes Dionysies en Grèce antique au cours du Vème siècle avant Jésus Christ. Nous pouvons également rajouter une notion technique au théâtre, en effet afin que le public puisse voir les expressions et sentiments interprétés par les comédiens, ces derniers doivent exagérer les traits des expressions. De ce fait, ces visages sont très théâtralisés et donnent l’illusion que la scène se produit devant nos yeux de spectateurs. Nous avons la sensation de voir la représentation des comédiens interprétant la scène. L’expression des sentiments est donc fortement visible dans cette œuvre. L’angoisse, l’inquiétude, la peur sont ici représentées avec brio.
De surcroit, outre les visages, il semble que les corps des personnages expriment le texte écrit par le dramaturge. Les tourments et les sentiments d’horreur sont visibles dans le regard des trois personnages représentés mais également dans leurs postures et dans leurs gestes. Lady Macbeth semble ainsi dramatiser la situation grâce à sa posture « mélodramatique » et son regard effrayé, évitant à tout prix de regarder sa main cachant une tâche de sang. Concernant, cette dite tâche de sang, celle-ci n’est pas représentée mais suggérée. En effet, il fut un temps ou le sang n’avait pas le droit d’être représenté sur une scène de théâtre pour éviter les outrages aux bonnes mœurs et ainsi ne pas choquer le public. Le lieu est quant à lui très sombre et lugubre outre le fait qu’il représente les châteaux gothiques de l’époque, nous pouvons également l’interpréter comme le lieu exprimant tous les tourments de Lady Macbeth. Le lieu semble être fermé, aucune fenêtre n’est visible, l’expression des tourments de Lady Macbeth se multiplie avec le format vertical du tableau. Ce lieu fermé fait également penser à une scène de théâtre. Afin de peindre cette œuvre, Füssli a réalisé de nombreuses études qui montrent une certaine mise en scène. En effet, sur ces dernières les personnages sont bel et bien des représentations de comédiens jouant la dite scène.
"Salut, Macbeth, qui plus tard seras roi"
William Shakespeare, Macbeth, Acte 1, scène 3
Possédant un goût pour le fantastique et l’irréelle, Füssli fait de son œuvre, un tableau à la fois romantique et fantastique dans sa composition. Ce fantastique est souligné par la palette de couleur utilisée par l’artiste. Des couleurs froides, sombres tel que le noir de l’obscurité du lieu ou encore le bleu présent dans le ruban attaché à la chevelure de Lady Macbeth intensifiant toute la froideur du tableau. On remarque également la présence de couleur chaude tel que l’orange pour les cheveux de Lady Macbeth et la flamme du flambeau tenue par cette dernière. La chevelure flamboyante de Lady Macbeth est une référence directe à la rousseur au cours du Moyen-âge. En effet, durant cette période historique les personnes rousses étaient accusées de sorcelleries et tuées. De même, concernant la sorcellerie le geste de Lady Macbeth fait étrangement pensé aux gestes dans le tableau Les trois sorcières réalisé précédemment. Serait-ce donc une référence pour laisser sous-entendre que les deux tableaux sont reliés entre eux ?
Cependant, si les couleurs chaudes peuvent être des couleurs rassurantes et sereines, c’est tout l’inverse que procure ce tableau. L’usage des couleurs froides et chaudes accentuent l’insécurité de la scène, les couleurs chaudes révèlent les crimes atroces commis, tandis que les couleurs sombres semblent symboliser la solitude de Lady Macbeth qui malgré la présence des deux autres personnages semble seule et désemparée dans sa propre folie. Le visage déformé de Lady Macbeth accentue la dimension théâtrale et irréelle de l’œuvre.
Outre les couleurs, le lieu donne un aspect irréel au tableau. Le lieu s’inspire, en effet, des châteaux gotiques d’Ecosse. Le lieu semble angoissant, lourd comme si ce lieu cauchemardesque révélait l’atrocité des crimes commis.
Ayant acquis une solide formation intellectuelle qu’il a acquis au fil de ses rencontres et à ses lectures. Füssli mêle dans cette œuvre beauté et horreur. Sensible aux propose du philosophe Edmund Burke, ce dernier oppose le modèle de la beauté antique avec celui de la beauté obscure terrifiante.
Le personnage n’est plus qu’un simple héros, on ne le glorifie plus, bien au contraire on montre sa face cachée, ses tourments, ses fantômes, ses peurs et ses craintes. Lady Macbeth est en proie à ses tourments et se remémore les crimes qu’elle a commis pour le pouvoir.
Si elle semble en proie à ses peurs les plus profondes, Lady Macbeth est représentée de façon assez pure. Elle a une peau très blanche, le blanc étant une couleur symbole de pureté. Ses cheveux roux en mouvement vers la gauche du tableau se marient à merveille avec la flamme qu'elle tient dans sa main droite.
Le tableau présente une certaine forme d’érotisme au travers du personnage de Lady Macbeth et de sa servante. Les chevilles de Lady Macbeth visibles et la poitrine proéminente de la servante rajoute dans cette scène horrible et effrayante une touche de sexualité et d’érotisme au tableau. De même, le corps de Lady Macbeth semble moulé dans sa longue robe de chambre à la couleur jaune, le corps de cette dernière est suggéré.
Ici, la beauté se mêle à l’effrayant, ce n’est plus une beauté antique impassible mais une tout autre beauté qui s’exprime, celle de la peur. L’effrayant se mélangeant à merveille avec l’érotisme du tableau.

Ainsi, contrairement aux tableaux s’inspirant de modèle antique et donc aux tableaux classiques, les tableaux romantiques s’ouvrent sur les sentiments des personnages, de l’artiste et des spectateurs. Si le classicisme assimile la beauté antique à une idée d’harmonie, ceci n’est pas le cas durant le romantisme. « Lady Macbeth somnambule » ouvre les portes vers un personnage en proie à une folie meurtrie, cette dernière mourra de sa folie dans les scènes suivantes. La folie est visible non seulement dans le regard mais également dans le jeu de lumière réalisé par l’artiste. L’œuvre est très sombre sur les cotes et le visage de Lady Macbeth est éclairé par la flamme de la torche. Cette lumière semble symboliser la vérité que cette dernière prononce. La lumière qui pourtant rassure dans l’obscurité révèle ici les crimes commis et donc l’horreur de ses actes. La lumière est ici tout sauf protectrice. L’obscurité semble ici pouvoir cacher cette triste vérité. Jeux de clair obscure est ici donc inversé.
L’œuvre de Füssli est-elle fidèle au texte ? Si l’œuvre de Füssli semble fidèle au texte, ce propos est néanmoins à nuancer. En effet, plusieurs détails ne sont pas présents dans le texte original et l’on peut également remarquer la présence d’anachronisme.
Dans le texte de Shakespeare Lady Macbeth se frotte les mains afin d’enlever le sang sur ces dernières. Cette action montre la folie et l’angoisse qui s’empare de ce personnage. Füssli fait passer le même message mais de façon différente. Ainsi, Lady Macbeth lève la main et pointe son doigt vers le haut du tableau, comme ci cette dernière proclamait les crimes réalisés. Elle semble atteinte par la folie et la peur que l’on peut lire dans son regard et dans sa posture, elle ne regarde pas sa main et semble même terrorisée par celle-ci. Le sentiment de « souillure » très présent dans le texte par l’action de frotter ses mains est représenté par Füssli de manière plus anecdotique. Le message en reste néanmoins le même. La folie et la peur de Lady Macbeth se lisent chez Füssli dans son regard et la position de son corps.
Füssli intègre des éléments anachroniques dans la composition de son tableau. Comme le fauteuil sur lequel est assise la dame de chambre de Lady Macbeth ou encore la tenue de cette même femme de chambre qui est très contemporaine pour le Moyen-âge. Situé à droite du tableau, on remarque également la présence d’un instrument archaïque, il s’agit d’un luth.

Pourquoi Füssli présente des allusions au style néoclassique ? Si cette œuvre s’inscrit dans le mouvement du romantisme. Füssli montre l’étendue de son savoir intellectuel. La peau blanche des deux jeunes femmes tout comme le corps moulé de Lady Macbeth dans sa tenue sont deux éléments relevant du style néoclassique. En effet, la peau blanche des deux femmes évoque la blancheur des statues antiques ou des représentations féminines dans les tableaux de style néoclassique.
Les sentiments de la crainte, de l’angoisse et de la terreur sont présents dans cette œuvre. Représentant des références à son savoir acquis sur le style néoclassique et à ses débuts de carrière dans la caricature, cette peinture s’inscrit bien dans la période romantique. La représentation de la folie, du macabre et l’expression des sentiments de Lady Macbeth à travers son regard, sa posture, les personnages l’entourant et le lieu où prend place la scène illustrent ainsi à merveille l’un des sous genres littéraires du romantisme, le romantisme noir. L'œuvre de Füssli aura par ailleurs une influence sur le travail de certains autres artistes comme par exemple William Blake avec qui il partage son goût pour le fantastique.
Bibliographie
WILLIAM SHAKESPEARE, Macbeth, texte intégral, édition Librio Théâtre, 2016
GUILLAUME FAROULT, Johann Heinrich Füssli, Lady Macbeth marchant dans son sommeil, collection solo, département des peintures, Louvre édition, 2011
ROLF TOMAN, Néoclassicisme et Romantisme : architecture, sculpture, peintre, dessin, HF Ullmann, Cologne, 2007
NADEIJE LANEYRIE-DAGEN, Lire la peinture. Tome 1. Dans l'intimité des œuvres, Larousse, Paris, 2002