La Pala d'Oro
L’univers de Byzance fascine par sa luxure, son goût du détail et par la
richesse des objets d’arts. La lumière symbole d’un rapprochement avec le
divin et l’or sont tous deux des aspects caractéristiques de l’art byzantin. Et
nombreuses sont les régions du monde émerveillées par cet univers. Située
sur la place Saint Marc, la Basilica Cattedrale di San Marco construite en
828 à Venise renferme en son sein l’un des plus beaux trésors de l’art
byzantin, la Pala d’Oro.
Véritable œuvre d’art, la Pala d’Oro ou Retable en Or est placée sur le maître
autel de la basilique St Marc. Elle est considérée comme le plus raffinée et
le plus précieux des trésors de la basilique. Elle illustre toute « l’expression
du génie métaphysique de Byzance et de ce culte de la lumière, interprétée
comme l’élévation de l’homme vers Dieu qui constitue le fondement du
gothique occidental ». Elle fût commandée en 976 par le doge Pietro Orseolo.
Richement décoré, le panneau de format rectangulaire mesure 3,45 mètres
de long et 1,40 mètre de hauteur. La Pala d’Oro comprend 1927 émaux et
pierres précieuses. Les émaux sont l’un des symboles de l’art byzantin par
excellence.
Ces derniers n’ornaient pas seulement les objets liturgiques, tel que les
croix, les reliquaires ou encore les icônes, les émaux ornaient également
les bijoux, les étoffes des costumes des cérémonies civiles et religieuses,
les armes, les selles de parade. Ces objets précieux étaient par la suite très
souvent offerts par les empereurs byzantins en guise de présent pour d’autres
souverains. Les relations entre Venise et Byzance permettent ainsi aux
artisans vénitiens de s’inspirer grandement des artisans de Constantinople.
Les artisans vénitiens imitèrent ainsi des usages réalisés par les artisans de
Constantinople comme le martèlement de l’or et de l’argent doré ou encore
l’ornementation d’émaux.

Saint Marc de Venise. © Wikipédia
Il existe donc une origine culturelle et artistique de l’Art vénitien, celle de
l’usage byzantin dans le travail des émaux et de l’orfèvrerie. Les vénitiens
tiennent la technique de l’orfèvrerie et des émaux de l’art Byzantin et des
artisans de Constantinople. C’est au cours de la période des Comnènes
(1057-1187) que la technique des émaux atteint son apogée à Byzance.
Toute cette délicatesse et tout ce raffinement sur le travail de l’or et des
émaux sont illustrés avec La Pala d’Oro.
Dotée d’une histoire riche, elle est l’exemple parfait de cette fascination et de
cette dévotion des Vénitiens pour Byzance. La Pala d’Oro reçu au cours du
temps de nombreuses modifications. Ces dernières permettent d’affirmer
que l’ensemble du retable ne semble pas homogène puisqu’il présente une
architecture différente de l’art byzantin ainsi que des émaux de style et de
périodes différentes.
Au fondement de la création de ce retable a lieu une fascination de la part
des Vénitiens pour le monde de Byzance. En effet, Venise pendant un temps
fût tournée vers l’Orient et en particulier vers Byzance, la capitale de l’Empire
Romain d’Orient. Les échanges commerciaux y sont nombreux et ont permis
de développer les échanges artistiques et culturels. Les mosaïques, les icônes
et le travail sur l’or et la lumière témoignent de cette influence byzantine. Dans
tous les arts, le rapprochement entre Venise et Byzance est immédiat. Cette
fascination est forte, Venise adopte et conserve son influence byzantine au sein
de la basilique st Marc, dans les arts décoratifs, dans les fêtes ou encore dans
les célébrations historiques se rapprochant ainsi de l’idéalisme de Byzance.
Sous le règne du doge Petro Orseolo II (991-1008), Venise fût proclamée « fille
privilégiée de Byzance ».
Ces liens entre Venise et Byzance ont pour autant failli être rompus à cause
de nombreux désaccords. En effet, les œuvres d’art les plus convoitées de la
basilique Saint Marc sont essentiellement le fruit d’un butin de guerre que les
Vénitiens ont rapportés durant les Croisés de la Quatrième Croisade datant de
1204. Cependant, certains des émaux présentés sur la Pala d’Oro proviennent
du Pantocrator.
Les œuvres les plus importantes de trésor de Saint Marc sont byzantines mais
conservent un certain rapport avec les styles roman et gothique propre au
monde Occidentale. La Pala d’Oro est l’exemple parfait de cette fascination pour
Byzance et de ces rapports avec les styles gothique et roman. Œuvre la plus
imposante du trésor de Saint Marc, ce fastueux décors de pierres précieuses,
d’émaux et d’orfèvrerie, attire le regard des fidèles vers Dieu. L’art byzantin
s’exprime dans la Pala d’Oro par l’usage de l’émail.

L’art de l’émail se développe entre les VIe et le XIIe siècle. Les Byzantins
ont perfectionné la technique de l’émail avec une technique nommée «
cloisonnée ». Cette technique se réalise par l’utilisation de bandes d’or
soudées à une plaque de base métallique formant les contours de l’icône
souhaitées. Par la suite, les espaces creux entre les fils d’or filigranés sont
remplis par une pâte de verre colorée.
Les émaux byzantins représentent des personnages importants, souvent
un membre impérial ou une icône religieuse. Ces dernières sont de taille
très petite principalement dû aux matériaux utilisés dans la réalisation de
l’émail, ces matériaux comme l’or coûtent très cher. Ils peuvent prendre
diverses formes et utilisations comme par exemple des bijoux décoratifs,
des objets ecclésiastiques, des objets liturgiques ou encore des couronnes
royales. Des collections de petits émaux peuvent être montés ensemble
pour composer un ensemble narratif plus large, comme c’est le cas pour
la Pala d’Oro. C’est au cœur du XIIIe siècle à la suite de la chute et de la
destruction de Constantinople que la production d’émail chute.
De nos jours, la plupart des émaux byzantins connus aujourd’hui datent du IXe au XII siècle. La période iconoclaste entre 726 et 787 de notre ère ayant conduit à la destruction de la plupart des exemples antérieurs au VIIIe siècle, en raison de leur nature iconographique. La période qui suit l’iconoclasme voit une reprise de la production de portraits d’icônes en émail, La plupart des œuvres en émail connues aujourd’hui ont été conservées en Occident depuis le début du XIIIe siècle. Tous les exemples d’œuvres en émail qui se trouvaient encore à Constantinople juste avant sa destruction ont été perdus ou détruits.
Réalisée en or massif et sertie des joyaux les plus riches, la Pala d’Oro est un véritable objet luxueux composée de plusieurs parties. Cette composition en diverses parties est dû, notamment à son histoire. Selon la Chronique de Jean Diacre, le premier antependium était en argent et fût commandé à Constantinople par le doge Pietro Orscelo qui régna de 976 à 978. En 1105, Ordelafo Falier fit rénover l’antependium ou fit réaliser un autre retable qui cette fois-ci serait en or enrichi de pierres précieuses et d’émaux. Cet autre retable aurait été exécuté à Venise par un maitre grec dont on ignore l’identité. A l’époque du doge Pietro Ziani le retable fût agrandi en 1209. C’est entre 1342 et 1345 durant le règne du doge Andrea Dandolo que le retable prend sa forme définitive telle que nous la connaissons aujourd’hui. On doit donc prendre en compte quatre époques dans la réalisation du retable et la distribution des émaux : Fin X, début XII, dernière décennie du XII, et XIV.
Rénovée mainte et mainte fois, la Pala d’Oro abrite un mystère, celui de
l’identification du doge Ordelafo Falier. Nombreux sont les historiens de l’art
à s’être penchés sur la question de l’identité de ce personnage et nombreuses
sont les hypothèses. Il subsiste toute une histoire sur la représentation du
doge, certains pensent qu’il ne s’agit pas d’un doge mais d’un empereur
byzantin dont la femme se prénommait Irène. Deux noms ressortent ceux
d’Alexis Ier et Jean II. La représentation de Jean II appui sur l’appartenance
des émaux au couvent du Pantocrator fondé par Irène, la fille de Ladislas
roi d Hongrie. Quant à Alexis Ier, il s’agirait plus de vraisemblances. Ce
dernier avait une femme se nommant Irène et entretenait des liens d’amitié
très forte avec Venise. Par ailleurs, il signa avec Venise un traité en 1082, des
suites d’un conflit. Ce traité énonce que Venise devrait obtenir de Byzance
tout ce dont il désire, nourriture, or, bijoux… Ces hypothèses se basent sur
des coïncidences. L’une d’elle est issue de madame Pomorisac de Luigi,
l’hypothèse de cette dernière fût acceptée par Otto Demus et commentée
dans le catalogue d’exposition du Grand Palais consacré au trésor de Saint
Marc. Cette hypothèse énonce qu’au côté de la Vierge il ne figurait pas deux
autres figures byzantines mais quatre. Celle d’Irène, celui d’un dogue, celui
d’Alexis Ier et celui de Jean II. Selon les informations trouvées sur ce même
catalogue d’exposition, cette hypothèse est impossible quand on prend en
compte l’architecture du retable.
De nombreuses fois modifié, le retable possède plusieurs styles différents
et notamment plusieurs styles d’émaux de périodes différentes.

Réalisée sous quatre périodes différentes et ayant eu de nombreuses
modifications, la Pala d’Oro présente cette caractéristique de ne pas être
homogène. Les styles se mélangent et créent une certaine « incompréhension
stylistique ». Nonobstant, malgré cette non homogénéité, reflet des
vicissitudes de son histoire et de sa réalisation, la Pala d’Oro n’en reste
pas moins un objet liturgique luxueux, religieux, lumineux utilisé lors des
cérémonies notamment en l’honneur de St Marc.
Divisée en plusieurs parties, la partie inférieure du panneau est plus
grande que la partie supérieure du panneau. En son centre figure le Christ
Pantocrator assis sur son trône faisant le geste de bénédiction et tenant la
bible ouverte dont le message religieux est remplacé par des émaux, sans
doute un moyen de montrer la richesse des textes bibliques. Ce dernier
est entouré des évangélistes, Marc, Mathieu, Luc et Jean. En dessous,
est représentée la Vierge orante, l’impératrice Irène et le doge Ordelafo
Falier. Par ailleurs, la représentation des personnages impérieux comporte
quelques similitudes avec ceux présentés sur la couronne de Constantin IX
Monomaque datant du début du XIe siècle et conservée au sein du Musée
national hongrois. En haut du Christ est représentée l’Hétimasie. Sur la partie
supérieure du retable y figure l’archange Saint Michel entouré de chaque
côté par des séraphins et des scènes de la vie du Christ. Parmi ces scènes
l’on retrouve l’entrée du Christ à Jérusalem, la Crucifixion, la Pentecôte, la
Dormition, l’Ascension, l’Anasatsis (ou Résurrection). De chaque côté du
panneau central du retable se trouvent trois rangées d’émaux, six rangées
au total.
Sur le panneau inférieure, on aperçoit les archanges, les apôtres et enfin
tout en bas les prophètes dont on peut reconnaitre David, Daniel ou encore
Salomon. Les tenues des personnages représentées sont fidèles à celles
présentées dans l’art byzantin. Certains personnages portent le loros et les
couleurs impériales. L’archange Michel tient dans sa main droite le globe
crucifer et le labarum.
La surabondance de joyaux délimite chaque scène et chaque personnages
représentés. Les personnages se trouvent entourés et semblent se trouver à
l’intérieur de fenêtre. Toute la partie inférieure de la Pala d’Oro est entourée
sur trois côtés par une série de 27 panneaux. Ces derniers représentaient
des scènes évangéliques et des épisodes de la vie de St Marc.
La légende raconte que St Marc fût convié par St Pierre à Aquilée afin de
prêcher l’évangile. Cependant, à la suite d’une tempête, St Marc fût contraint
de se réfugier sur une île. C’est au cour d’un rêve qu’un ange vient à lui et
prononce ces paroles : « Que la paix soit avec toi ô Marc mon évangéliste.
». La légende se mêle à l’histoire de son martyr à Alexandrie et au récit de
son transport de son corps d’Alexandrie jusqu’à Venise en 828 durant le
doge Partecipazio.
Le retable est narratif et partage avec les fidèles la vie du Christ et celle de St
Marc. La présence de l’Hétimasie et juste en dessous du Christ Pantocrator
illustrent également cette narration, le Christ s’assied sur son trône et illustre
toute la puissance divine.

La Pala d’Oro illumine celui qui la regarde. Du fait de sa grandeur et le fait
qu’elle soit située en haut d’un autel, elle impressionne et illustre toute la
puissance divine de Dieu et du Christ. Elle illumine le fidèle et communique
avec lui la foi. L’utilisation de joyaux de couleurs différentes et d’émaux
différents apportent une richesse à cette œuvre devenant ainsi inestimable
et sacrée. Elle illustre toute la richesse de l’art byzantin.
Forçant l’admiration de chacun, la Pala d’Oro permet d’affirmer et d’exprimer
la foi chrétienne. Elle relie le monde terrestre et le monde du divin. Le Christ
Pantocrator trônant sur son trône et faisant le geste de bénédiction tenant
dans sa main gauche un livre, est le symbole du regard que porte le Christ
tout puissant sur nous. La Pala d’Oro présente des récits religieux et est
donc narrative. Une partie de l’histoire des émaux byzantins et l’histoire
des relations entre Venice et Byzance s’exprime dans ce retable.
Les émaux sont parfois difficilement datables en raison des modifications réalisées et de l’histoire de cette œuvre. L’orfèvre vénitien Giovanni Paolo Boninsegna fût le dernier à avoir apporté des modifications au retable. C’est sans doute au cours de cette ultime modification que fût ajouté tout le décor gothique ainsi que les pierres des Pala antérieures. Cette disposition est établie selon un ordre qui s’éloigne des canons byzantins et illustre plus les canons iconographiques de l’occident en plus du rajout des émaux vénitiens de l’époque. Les arcs semblent se briser une caractéristique de l’art gothique. Tout en ayant un aspect orientale. Le retable montre la présence d’un jeu de couleur et de lumière avec la présence des émaux et de l’or. La Pala d’Oro va au-delà de sa valeur esthétique, c’est l’un des symboles de la ville et de la basilique mais également un symbole puissant de spiritualité.
La Pala D’Oro est un témoignage de la dévotion de Venise aux plus hautes expressions de l’art byzantin. Dû à une histoire mouvementée, par le fait qu’elle est subie de nombreuses modifications, Elle est un exemple parfait d’un mélange entre architecture romano-gothique et une technique de l’or et des émaux de Byzance. Le retable illustre la divine liturgie et communique entre le fidèle et le divin grâce à l’utilisation de l’or et des émaux mais également des personnages et des scènes représentées. La foi chrétienne s’affirme par la luxure du retable, le travail sur l’or et sur les émaux, la finesse des détails illustre tout le savoir-faire des artisans vénitiens. La Pala d’Oro s’intègre parfaitement en son lieu d’exposition. Il montre toute la gloire de Byzance et de son art et partage une foi religieuse lumineuse qui illumine celui qui la regarde et rentre ainsi en communication avec le divin.
Bibliographie
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