L'exposition d'art dégénéré de 1937
« Ein Volk, ein Reich, ein Führer » , tel fût le slogan du Troisième Reich dirigé
au cours des années 1933 à 1945 par Adolf Hitler. Au cours de cette période,
l’Allemagne nazie est marquée par une vague de violence et d’extermination
des peuples d’une extrême violence.
La politique menée par le chancelier, Adolf Hitler, s’étend également sur
la sphère artistique. L’un des exemples les plus frappants est celui des
autodafés au cours desquelles de nombreux livres sont brulés. L’exemple
le plus marquant fût l’autodafé du 10 mai 1933 organisé par le ministre de
la propagande, Goebbels, au cours duquel plus de 20 000 livres ont été
détruits sous les flammes.
L’exposition «d’art dégénéré» en 1937
De ce fait, l’arrivée d’Hitler au pouvoir marque fondamentalement et change
les domaines artistiques de l’époque. L’art devient avant tout un art de
propagande visant à promouvoir le parti nazi, la NSDAP. Tout comme en
Russie avec le parti communiste, les régimes totalitaires utilisent l’art à but
de propagande. La musique, le cinéma, la littérature et les arts picturaux
sont tous touchés par la politique mise en place au cours de cette époque.
L’art est donc instrumentalisé au profit du parti national socialiste allemand.
De surcroit, dans le but de favoriser le parti politique nazi, l’une des plus
célèbres « contre exposition » verra le jour au cours de l’année 1937.
L’exposition qui s’intitule « Entartete Kunst » ou l’exposition « d’Art
dégénéré » en français eut lieu au n°4 de la Galerienstraße au sein de
l’Institut Archéologique de la ville de Munich. L’exposition débuta le 19
juin 1937 et se déroula du mois de juin au mois de novembre de la même
année.
Selon Jean-Michel Palmier, cette exposition a pour but d’ « interdire l’art
moderne » et de dépeindre les artistes modernes comme étant des malades
mentaux. Près de deux millions de spectateurs viennent voir les plus de
700 œuvres exposées. De nombreux artistes sont exposés au cours de
cette exposions, des artistes juifs et également des artistes comme Picasso,
Paul Klee, Chagall ou encore Max Beckmann.

L’exposition « Entartete Kunst » de 1937 s’inscrit
dans la politique mise en place et menée par Adolf
Hitler. L’arrivée au pouvoir d’Hitler le 30 janvier
1933, au cours de la crise économique qui met
à mal le pays, va bouleverser l’Allemagne. « Les
œuvres de Weimar sont des productions de malades
mentaux » , cette phrase écrite en 1924 par Hitler
dans son ouvrage tristement célèbre Mein Kampf
(en français « Mon combat »), illustre le point
de vue que possède le chancelier au sujet de la
République de Weimar.
En effet, l’exposition de 1937 a pour but d’humilier
non seulement les artistes mais également la
République de Weimar. Les centaines d’œuvres
réquisitionnées ont toutes été issues de musées
construits sous cette République. Cette dernière
favorisant l’art sous tous ces aspects. Ainsi,
l’exposition de 1937 s’inscrit dans la continuité de
la politique d’Hitler.
« Le cubisme, le dadaïsme, le futurisme, l’impressionnisme, etc. n’ont rien à voir avec notre peuple allemand […], c’est pourquoi je tiens à proclamer à cette heure même que ma décision irrévocable ainsi que je l’ai fait dans le domaine du désordre politique est de nettoyer la vie artistique allemande de toutes ces grandes phrases » . Avec cette phrase, Hitler proclame sa décision. Il s’agit avec cette exposition de « nettoyer le peuple allemand ». Ce dernier étant selon les nazis « sali » par des œuvres d’art perverses. De ce fait, par le biais de cette exposition, la République de Weimar et sa politique est visée par le régime nazi. Pour renforcer cette politique culturelle violente, des sociétés pour l’Art Allemand ainsi que le ministère de la propagande et de la censure sont créés. En 1920, la société d’Art Allemand est créée, selon Marie-Laure Ainoux, cette société a pour mission d’agir contre la « corruption dans le milieu artistique ». Cette société s’en prendra notamment au mouvement expressionniste et impressionniste. Au cours de l’année 1933, le ministère de l’Instruction Populaire et de la Propagande dirigé par Goebbels sera créé.
Les mouvements comme der Blaue Reiter (en français Le Cavalier Bleu,
créé en 1912) ou encore die Brücke (en français Le Pont, créé en 1905) sont
touchés par la censure. Selon Walter Benjamin, « on se tourne vers une «
esthétisation de la politique » » .
Le 30 janvier 1933 Hitler obtient les pleins pouvoirs, les droits fondamentaux
sont ainsi abolis. A partir de ce jour Hitler rompt avec la Constitution de
Weimar. Et mène ainsi son idéologie. « L’art est une arme » selon l’écrivain
Wolf. Ainsi, l’exposition de 1937 s’inscrit dans la politique hitlérienne. L’art
et de ce fait l’exposition « d’Art dégénéré » de 1937 est une arme à but de
propagande.
Adolf Hitler apprécie l’art néo-romantique et l’art néo-classique . Cet art idéal, selon Hitler, est d’ailleurs visible sur l’architecture du bâtiment allemand exposé au cours de l’exposition universelle de Paris en 1937. Cet art dit « idéal » fera par ailleurs l’objet d’une exposition située au côté de l’exposition « Entartete Kunst ». Intitulée « Kulture » , cette exposition a pour but de souligner davantage le caractère pervers, vicieux et maladif des artistes exposés au sein de l’exposition « d’Art dégénéré ». L’exposition débute le 18 juillet 1937 et est inauguré par Hitler en personne.
Contrairement à l’exposition « d’Art dégénéré », l’exposition « Kulture » va néanmoins recevoir moins de visiteurs. A travers cette exposition, on voit là une provocation contre l’art moderne. Une dualité existante entre l’art moderne des artistes dadaïstes, expressionnistes et abstraits et l’art néo-classique des artistes s’inspirant des lignes épurées de l’Antiquité. Ces deux expositions s’opposent. Il y aurait donc un art « mauvais » et un art « bien » . Le mal étant l’art dégénéré et le bien étant l’art idéal et néo-classique. Le Beau (le bien) et le Laid (le mal) s’opposent . Le sculpteur Arno Brecker est un sculpteur adulé par Hitler. Les sculptures de ce dernier seront exposées au cours de l’exposition « Kulture ». Cette exposition contrebalance ainsi avec l’exposition de 1937.
Le manifeste « Deutscher Kunstbericht » va servir de fer de lance à la mise en place de l’exposition de 1937. En effet, il est écrit au sein du premier article: « Toute œuvre d’une nature cosmopolite ou bolchevique doit être évacuée des musées ou des collections allemandes ; mais avant cela, elle doit être exposée au public (qui doit être informé des détails de l’acquisition) puis brûlée » . De ce fait, plusieurs expositions « d’art dégénéré » sont organisées dans le but de respecter le manifeste. Ces expositions sont locales et sont également surnommées par Jean-Michel Palmier les « chambres des horreurs de l’art » .
Plusieurs expositions à échelle locale vont inspirer l’exposition qui se
déroulera à Munich au cours de l’année 1937. Par exemple, en 1933, à
Dresde, l’exposition qui s’intitule « L’image comme miroir de la décadence
dans l’art » en allemand « Spiegelbilder des Verfalls in der Kunst » sera
visitée par Hitler et sera une grande inspiration dans la mise en œuvre de
l’exposition « Entartete Kunst ».
L’exposition « Entartete Kunst » s’inscrit dans la continuité de ces expositions
et n’est que le point culminant de la politique artistique du chancelier Adolf
Hitler. De plus, dans le but de réaliser l’exposition « Entartete Kunst » de
1937, un comité sera créé et dirigé par Adolf Ziegler . Ce comité a 10 jours
afin de constituer une collection d’œuvres pour l’exposition. Ainsi, dans le
temps imparti, le comité réquisitionnera près de 700 œuvres. 32 musées
et 28 villes sont réquisitionnés par le comité.
« A partir de maintenant, nous mènerons une guerre implacable d’épuration contre les derniers éléments de la subversions culturelle » ces mots prononcés en 1937 par Hitler au cours de l’inauguration de l’exposition exprime la pensée des nazis sur l’Art moderne. L’exposition est gratuite. Cette gratuité a pour conséquence et pour but d’attirer davantage de monde. De ce fait, près de deux millions de visiteurs visiteront l’exposition entre juillet et novembre 1937. Selon Marie-Laure Ainoux, près de 20 000 visiteurs par jours visitent l’exposition. Au sein de l’exposition, près de 700 œuvres seront accrochées dans un ordre qui se veut chaotique . Ce désordre total illustre le mépris à l’égard des artistes modernes et renforce le côté psychiatrique de l’exposition. Ainsi, l’accrochage ne permet pas une bonne compréhension des œuvres tant le but est de les ridiculiser, de les humilier : « Nous nous tenons à présent au sein d’une exposition qui contient une parcelle de ce qui a été acheté avec l’argent, durement gagné, du peuple allemand ; et qui a été exposé en tant qu’art par un grand nombre de musées à travers toute l’Allemagne. Vous voyez autour de vous un monstrueux étalage d’insanités, d’imprudence, d’inaptitudes et de dégénérescence. Ce qu’offre cette exposition inspire l’horreur et le dégoût à tous et à chacun » . L’exposition se tient sur deux étages comprenant au total neuf salles . Les artistes impressionnistes, expressionnistes, dadaïstes, ou encore futuristes sont exposés. Le parcours débute au premier étage avec les arts picturaux (plus précisément les peintures). Au rez-de-chaussée sont exposées les sculptures. Les salles sont surchargées. Et le chaos est le maître mot de l’organisation des œuvres. Sur les murs de l’exposition des phrases écrites en rouge sont lisibles comme par exemple : « révélation de l’âme de la race juive » , « la folie devant la méthode » ou encore « sabotage délibéré de la nation ».
« Des trains entiers n’auraient pas suffi à débarrasser les musées allemands
de ces ordures » . Cette phrase illustre la violence avec laquelle est perçus
l’art moderne par les nazis. Pour notre œil du XXIe siècle, elle reflète les
évènements tragiques qui vont se dérouler tout au long de la Seconde
Guerre Mondiale. Il existe une volonté d’extermination de l’art moderne.
Pour Schultze-Naumburg, l’artiste « reproduit son type racial ». De ce fait,
si un artiste est d’origine juive ce dernier créera des œuvres « juives ».
L’ensemble de l’exposition fait référence au caractère « racial ».

« Ici, un plus grand nombre d’œuvres démontreront que l’art dégénéré se met
souvent aussi au service de versant de l’idéologie marxiste et bolchevique dont
le but est la destruction systématique des derniers restes de la conscience raciale.
Alors que, dans la section précédente, la prostituée se trouvait élevée au rang
d’idéal moral, nous nous trouvons ici en présence du nègre et de l’insulaire
des mers du Sud considérés comme le parfait exemple de l’idéal racial de l’
« art moderne ». […] Il faut de toute manière souligner que cet art nègre est
techniquement si barbare que nombres de nègres s’insurgeraient à juste titre
contre une telle représentation de leurs semblables, voire incrimineraient les
auteurs de telles sculpture »
L’art dégénéré est considéré comme un art « nègre » et donc par conséquent
inférieur à l’art idéal néo-classique. Cet art illustrerait un désordre national
et ne serait donc pas « bon » pour la société allemande. L’art dégénéré doit
être exterminé comme l’ont été par la suite les minorités tuées et exterminées
dans les camps de concentration. De ce fait, si l’art dégénéré ne doit plus
exister cela représente la politique d’extermination d’Adolf Hitler : « Cette
purification de notre civilisation doit s’étendre sur presque tous les domaines.
Théâtre, arts, littérature, cinéma, presse, affiches, étalages, doivent être nettoyés,
des exhibitions d’un monde en voie de putréfaction pour être mis au service
d’une idée morale, un principe d’État et de civilisation » . (*mots prononcés par
Adolf Hitler en 1924)
L’exposition d’Art dégénéré se veut raciste et discriminante. En effet, pour le chancelier ce qui relève de l’art dit « dégénéré » n’a rien en commun avec la société allemande : « Le cubisme, le dadaïsme, le futurisme, l’impressionnisme, etc. n’ont rien à voir avec notre peuple allemand […], c’est pourquoi je tiens à proclamer à cette heure même que ma décision irrévocable ainsi que je l’ai fait dans le domaine du désordre politique est de nettoyer la vie artistique allemande de toutes ces grandes phrases ». L’exposition se veut une purification de l’âme allemande. Elle extermine le « mal » au profit de ce qui est considéré comme idéal par les dirigeants allemands.
L’exposition de 1937 possède un caractère « psychiatrique » tant dans
le fond que dans la forme. Les œuvres exposées sont accrochées dans le
désordre et sont beaucoup trop nombreuse pour les salles. De surcroit, les
commentaires et inscriptions visibles sur les murs illustrent cette volonté
d’humilier les artistes. Les artistes sont représentés par les nazis comme
étant malades.
Ce n’est pas nouveaux puisqu’en effet, en 1924, Hitler écrivait dans son
ouvrage Mein Kampf : « Les œuvres de Weimar sont des productions de
malades mentaux » . Les artistes sont représentés comme étant des « fous
». L’artiste représenté tel un fou et malade est un des sujets abordés par
Schutzer-Naumburg. De plus, le sort réservé à tout ce qui était contraire
au peuple allemand, c’est-à-dire, les juifs, les minorités ou encore les fous
étaient réservés à « mourir ».
L’exposition d’art dégénéré qui a eu lieu à Munich en 1937, nous paraît aujourd’hui comme abominable. Elle a pour but de mettre en avant la politique artistique et la politique du IIIe Reich. L’exposition d’Art dégénéré rencontrera un réel succès à l’époque. Elle se déplacera à travers toute l’Allemagne et l’Autriche au cours de février 1938 et avril 1941. Au total pas moins de trois millions de spectateurs ont visités l’exposition. Le succès de l’exposition provoquera également de ventes d’œuvres d’art dites « dégénérées » en 1937.
Bibliographie
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