Docomomo
Selon Charles Baudelaire, la modernité ne se prête pas à la conservation
n’ayant pas de caractère éternel comme les édifices anciens tel que les
temples et ruines antiques. Ainsi, la protection d’un édifice moderne pousse
à de nombreuses réflexions. Il existe une faible protection des bâtiments
modernes appartenant au passé récent. Si l’Unesco s’est intéressé à la
question de la préservation des édifices modernes qu’au cours de l’année
1994, ce n’est pas le cas de Docomomo. Docomomo (« International
working party for Document and Conservation of Buildings, sites and
neighbourhoods of the Moderne Movement », ou « groupe de travail pour la
documentation et la conservation des bâtiments de mouvement moderne,
de leur site et de leur ensemble urbain ») est une organisation à but non
lucratif créée aux Pays-Bas au cours de l’année 1988 lors de la conférence
d’Eindhoven par les architectes Hubert-Jan Henket et Wessel de Jonge.
Aujourd’hui près de 71 pays comprenant près de 3 000 membres font partie de l’organisation. L’objectif de cette organisation est de sensibiliser à la valeur du patrimoine moderne et ainsi de protéger ce dernier. Cet objectif témoigne de l’intérêt pour la conservation des édifices, cette dernière existant depuis de nombreuses années. En France, par exemple, Docomomo se rapproche de la Commission des monuments historiques ou du Comité des arts et des monuments et architectes historiques, ces derniers ont cependant pour but de préserver des édifices et monuments anciens. Tout comme l’Unesco, Docomomo établit des listes afin de référencer les lieux à préserver. La liste de l’Unesco présente néanmoins une prédominance des édifices du patrimoine datant du XIXe siècle. Docomomo s’intéresse ainsi au patrimoine à en devenir, et apparait comme un mouvement militant souhaitant faire accepter le patrimoine moderne au sein de l’opinion publique et des pouvoirs publiques.
L’organisation met en place des critères d’évaluation, les séminaires et la
création d’un comité technologique permettent de protéger et de s’interroger sur
la question des édifices du passé récent. Néanmoins, ce type de protection se
heurte à des difficultés spécifiques comme par exemple les exodes de population
des campagnes vers les villes. De même, les édifices de mouvement moderne
répondent à une fonction particulière spécifique dû à leur forme particulière,
comme par exemple le solarium de Jamnagar en Inde. L’organisation fait
ainsi face à de nombreux obstacles dans la protection d’ensembles et de sites
architecturaux et urbains modernes. L’exemple du Quartier des Poètes situé à
Pierrefitte-sur- Seine en est un parfait exemple. Œuvre des architectes Mila et
Geronimo Padron-Lopez et d’Yves et Luc Euvremer, l’ensemble de bâtiments
sociaux possédait une forme novatrice pour des logements dit « sociaux ». Au
cours de l’année 2007, un projet de restauration et de démolition de l’ensemble
de ces bâtiments va voir le jour. Considéré comme une œuvre architectural par
l’organisation, Docomomo saisit la justice dans le but d’annuler la destruction
de l’ensemble architectural. L’organisation a également créée une pétition
signée par une grande majorité des habitants de ces logements, souhaitant
ainsi interpeler l’opinion publique sur leur objectif et leurs actions. Cependant,
au cours de l’année 2009, l’ensemble architectural fût démoli, la demande
d’annulation ayant été rejetée par la justice. Cette dernière considère que
l’ensemble des bâtiments modernes ne pouvait être considéré comme un
symbole du patrimoine architectural. La décision de la justice remet ainsi en
cause l’objectif de l’organisation Docomomo. Cet exemple témoigne du combat
et de la complexité de Docomomo de faire accepter le patrimoine moderne au
sein des pouvoirs publiques et de l’opinion publique. Outre l’importance de
préserver le patrimoine national du passé récent, Docomomo s’inscrit dans une
démarche d’internationalisation de la préservation du patrimoine moderne.
« A quoi sert l’histoire de l’architecture d’aujourd’hui ? », cette question
posée par Emmanuel Laurentin dans son ouvrage A quoi sert l’Histoire
d’aujourd’hui ? illustre l’engouement pour l’architecture du patrimoine
moderne. Le patrimoine moderne est l’expression d’un patrimoine national
propre à chaque pays, chaque régions, chaque villes. La conférence
international d’Athènes au cours de l’année 1931 consacrée à la restauration
des monuments détruits par la première guerre mondiale est une étape
importante pour la mise en valeur du patrimoine mondiale. Néanmoins,
la notion de patrimoine international va voir le jour au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale. L’intérêt pour les édifices du passé récent débuta
ainsi à la fin de la Seconde Guerre mondiale à la suite de nombreuses
destructions et détériorations d’édifices du XXe siècle comme par exemple
des édifices soviétiques en Russie. Docomomo va par ailleurs permettre
la préservation de plusieurs édifices soviétiques.
De nombreuses organisations vont ainsi voir le jour comme l’Unesco (1945), l’ICOM (Conseil International des musées, 1946), l’ICCROM (Centre International d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels, 1956) et ICOMOS (Conseil International des monuments et des sites, 1965) et Docomomo (1988). Ces organisations illustrent la dimension internationale du patrimoine permettant à ces dernières de collaborer sur de nombreux projets. En 2006, lors de la conférence d’Atlanta de l’APT, le Comité technique sur le patrimoine Modern (TC-MH) voit le jour. L’APT est une organisation ayant pour but de valoriser le patrimoine moderne. Nombreuses sont ainsi les organisations à s’intéresser au patrimoine récent et moderne. Docomomo s’intéressa également à la préservation de la ville du Havre dont son classement au sein du patrimoine mondiale de l’Unesco fit l’objet de vif débat. Reconstruite après les bombardements du débarquement de Normandie, le projet de reconstruction de la ville du Havre est un projet de reconstruction publique nationale. Inscrite au sein de l’organisation Docomomo depuis 1992, cet exemple témoigne de la valeur international et de la valeur national de la modernité exprimant les mémoires de la Seconde Guerre mondiale. De même, Docomomo a permis à la ville du Havre d’obtenir une reconnaissance au niveau internationale, permettant ainsi à la ville d’être classée à l’UNESCO. Tout comme l’ICOMOS, l’organisation Docomomo apparait ainsi comme un agent de la préservation du passé récent permettant de comprendre notre histoire aussi bien nationale qu’internationale.
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